Dans la première partie de cet article, nous avions constaté que les solutions envisagées présentaient toutes trois types de limites: la pollution, le prix et/ou la maturité technique. Une autre limite majeure sera la prise en compte des ordres de grandeur.
Regardons de plus près la planification envisagée dans ce rapport. Selon les auteurs, la production d’agro-carburants (A.C.) devrait être économiquement rentable à partir de 2020 en fonction de l’évolution du prix du brut. Cette rentabilité serait due en partie aux taxes CO2 auxquelles seront soumises les compagnies aériennes pour l’utilisation d’énergie fossile, à partir de 2012.
« Les agro-carburants seront une réelle opportunité économique pour les communautés qui pourront créer de nouvelles sources de revenus, notamment dans de nombreux pays en développement »
En plus de ne pas polluer, d’être durables et techniquement performants, ces carburants seraient un formidable outil de développement économique des pays qui les produiront. Malheureusement, la mise en œuvre actuelle des A.C. à travers le monde nous a fait la démonstration inverse. La plupart des projets ne sont généralement que catastrophes environnementales et fuite des capitaux à l'étranger. Après le passage de ce genre de projet, il ne reste généralement plus grand chose aux populations locales si ce n'est des terres et une eau polluées.
Malgré cela, les espoirs de développement semblent considérables. Pour produire la totalité du carburant des avions avec du jatropha ou de la cameline (seules techniques rentables) il faudrait exploiter 2 à 3 millions de km² soit 4 à 5 fois la surface de la France. Évidemment, ça laisse songeur, surtout qu’il s’agit de remplacer uniquement le kérosène qui ne représente que 5% de la consommation actuelle de pétrole !
N’exagérons pas, l’ambition du secteur aéronautique n’est pas de remplacer tout le kérosène mais seulement 50% d’ici 2040. Ce qui représente une surface cultivée d'environ 1 à 1,4 million de km². A titre de comparaison, la surface cultivée des Etats Unis est estimée à 1,7 million de km².
La culture des algues utiliserait beaucoup moins de surface, soit 35.000 km² grace à des rendements bien plus importants mais reste inaccessible à ce jour en terme de coûts de production (250 à 2300$/baril). Même en divisant ces coûts par cinq en vingt ans (cas de l'énergie éolienne), il serait impossible de se rapprocher de ceux du pétrole (10 à 20$/baril pour le brut). De plus, le passage du pic pétrolier ne sera pas du tout propice à la réduction des coûts de production.
Si l’on imagine qu’une telle mise en culture puisse être réalisée, il reste à mettre en place :
- Les moyens logistiques colossaux pour transporter les productions agricoles et envoyer le carburant dans les pays consommateurs
- Les usines qui transformeront la matière première en carburant
- Les usines qui produiront l’engrais (jusqu’à 35.000 tonnes d’engrais azotés par jour) et le glyphosate (jusqu’à 2,5 millions de litres par jour).
N.B. Il convient de se demander avec quelle matière ces intrants seront produits : soit avec une partie de la biomasse récoltée, ce qui impose une augmentation sensible des surfaces cultivées, soit avec des hydrocarbures, ce qui nous ramène au problème de départ.
- La formation et le développement de compétences qui n’existent pas encore pour la mise en œuvre des cultures et la production du carburant.
Les professionnels de l’aéronautique n’ont pas d’autres choix que de tenter la mise en équation des ressources terrestres et des technologies existantes pour chercher une issue. Je crains que cela ne fasse plus illusion très longtemps.
Nous savons maintenant que le temps de l’énergie bon marché est terminé. Quelle que soit l'alternative envisagée, elle sera de toutes façons bien plus coûteuse que ce qui est observé depuis des années. Alors comment peut-on encore laisser croire que le nombre de passagers transportés continuera toujours d’augmenter et que les compagnies aériennes continueront d’acheter des centaines d’avions ?
Après mon départ d’Airbus, j’ai écrit à mes anciens collègues pour leur proposer de réfléchir, de s’informer et d’imaginer l’avenir sans pétrole. Le peu de réponses et de réactions a été un bon indicateur que le tabou était bien présent et l’illusion encore efficace.