Depuis la sortie du rapport de l'ADEME "Vers un mix électrique 100% renouvelables" et, en parallèle, les derniers déboires de l'industrie nucléaire, l'idée d'une plus grande décentralisation de la production d'énergie fait son chemin. Le rapport "choc" de l'ADEME ne parle pourtant que de l'électricité qui ne représente aujourd'hui que 22% de l'énergie finale consommée en France. Le reste -que l'on oublie un peu trop vite- c'est le pétrole (45%), le gaz (20%), la biomasse et les déchets (9%) et le charbon (3%).
L'association NégaWatt a publié en 2011 un scénario -presque- 100% renouvelables, toutes énergies confondues. C'est-à-dire -presque- zéro fossiles (pétrole, gaz et charbon) et zéro fissiles (uranium) ! Vous en conviendrez, le défi n'est pas tout à fait le même et les transformations à réaliser sont énormes, tant dans les comportements que dans les infrastructures, les réseaux d'échange, l'organisation des services et des moyens de production. Il faut non seulement réduire de moitié la consommation, mais également inverser les rôles: ce n'est plus à l'offre de s'adapter à la demande, mais à la demande de s'adapter à l'offre puisque la production d'énergies renouvelables est très variable lorsqu'il s'agit de valoriser le rayonnement solaire et le vent.
Ce qui apparait comme le facteur limitant de la transition énergétique, c'est le stockage. Jusqu'à présent, la seule technologie connue pour le stockage d'électricité à grande échelle était la station de transfert d'énergie par pompage (STEP). Situées en zones montagneuses, les STEP permettent d'utiliser les surplus d'électricité pour faire remonter de l'eau en altitude grâce à des pompes. Lorsque la demande augmente, il est possible de libérer instantanément cette eau stockée pour la faire passer dans des turbines et produire de l'électricité, avec un bon rendement global compris entre 70% et 85%. Ce système ne peut être mis en œuvre que dans les zones à fort dénivelé et permettant le stockage de grandes quantités d'eau. Le coût est estimé entre 500 à 2000€/kW.
Le gaz: vecteur clé de la transition énergétique
Le gaz offre des avantages précieux dans le cadre de la transition énergétique. Pour le stockage et le transport d'énergie, le réseau de gaz est déjà existant, bien réparti sur le territoire, et la France dispose d'une capacité de stockage d'environ 26 milliards de mètres cubes (292 TWh), soit le tiers de la consommation totale d'énergie finale prévue dans le scénario négaWatt 2011.
Jusqu'à présent, il était importé à 99% (en France) et principalement issu des réserves fossiles (gaz naturel). Le gaz renouvelable, quant à lui, peut être issu de trois filières distinctes. La première est la méthanisation de matières organiques, technologie bien connue et mature, déjà exploitée commercialement. Le biogaz est formé lors d'une digestion anaérobie de déchets organiques ménagers, de l'agriculture ou de l'industrie.
La seconde consiste en une gazéification des matières ligneuses (notamment le bois) qui permet d'obtenir un gaz "pauvre". Celui-ci, après une opération de lavage et d'épuration, suit un processus de méthanation permettant d'obtenir majoritairement du méthane.
La troisième filière permet de stocker l'électricité renouvelable lorsqu'elle ne peut pas être consommée au moment de sa production. Le surplus permet de faire une électrolyse de l'eau afin d'obtenir de l'hydrogène. Celui-ci est ensuite combiné à du CO2 dans un processus de méthanation pour obtenir du méthane.
Enfin, le gaz est très intéressant pour la diversité de ses usages. Il peut être utilisé comme carburant (GNV), comme énergie pour la cuisson des aliments, comme combustible pour le chauffage ou dans des centrales thermiques à cogénération (électricité + chaleur). Pour toutes ces raisons, le gaz pourrait devenir un élément structurant du mix énergétique pour les décennies à venir.
Les voies possibles de valorisation d'énergie primaire renouvelable en gaz renouvelable. Source: http://eleves-ose.cma.mines-paristech.fr/2013/commentaires_news.php?id=83
La méthanation du bois
La première centrale de ce type (puissance de 20 MW) a démarré en 2013 à Göteborg (Suède) dans le cadre d'une étape de démonstration dont le coût d'investissement est estimé à 800€/kW. La deuxième phase commerciale du projet (80-100 MW) devrait démarrer en 2016. Une telle usine absorbera 500 000 tonnes de résidus forestiers par an (plus de 1300 tonnes par jour) pour fournir 150 GWh de chaleur et 800 GWh de biométhane (de quoi chauffer 500 immeubles et faire rouler plusieurs dizaines de milliers de voitures). Même si la technique est au point avec un rendement global supérieur à 65%, la principale difficulté de ce type d'installation, c'est l'approvisionnement. Le dernier exemple en date était la centrale de Gardanne qui a provoqué beaucoup de débats, puisqu'elle consommerait 885 000 tonnes de bois dont le tiers serait importé et le reste, 500 000 tonnes, serait prélevé dans un rayon de ... 400 km ! Il faut donc s'interroger sur l'échelle pertinente pour les unités qui consomment de la biomasse.
La méthanation à partir d'électricité
Le principe consiste à réaliser une électrolyse de l'eau afin de produire de l'hydrogène qui, lorsqu'il est combiné à du monoxyde ou dioxyde de carbone (CO ou CO2) dans le processus de méthanation, permet d'obtenir du méthane. Le coût de cette technologie est estimé entre 1500 et 2000€/kW.
C'est en Allemagne qu'a démarré la première production commerciale de méthane à partir d'électricité renouvelable. Avec une puissance de 6 MW, elle absorbe jusqu'à 28 GWh d'électricité par an pendant les pics de production, pour produire 14 GWh de méthane (rendement d'environ 50%) pendant ses 4000 heures de fonctionnement annuel. Ainsi, l'usine démarre et s'arrête plus de trente fois par mois lorsque le prix spot de l'électricité est très bas, ce qui correspond aux périodes de faible demande. Le rendement est assez médiocre, mais ce procédé aurait ce rôle essentiel de stockage du surplus électrique.
Toutes ces installations sont très pointues et requièrent un haut niveau d'expertise et de technologie. Je fais plus souvent la promotion des solutions low-tech à l'échelle individuelle, mais pour la gestion des réseaux et la constitution d'un mix énergétique territorial diversifié, renouvelable, résilient et décentralisé, la technologie semble incontournable.
Le gaz renouvelable est une source et un vecteur d'énergie particulièrement intéressant pour de nombreuses raisons, notamment parce que son transport et sa distribution sont déjà bien en place. Il reste à développer les moyens de production et de consommation qui permettront un développement harmonieux, raisonnable et soutenable de la filière.