Dans un article précédent, j'évoquais cette course sans fin à laquelle nous participons pour produire de l'énergie à tout prix: extraire du pétrole pour extraire du pétrole etc.
J'y expliquais notamment les notions d'ERoEI (taux de retour énergétique) et d'énergie nette (énergie disponible pour la société, une fois que l'on a soustrait ce qui était nécessaire pour produire cette énergie).
Vous m'avez fait part de votre questionnement concernant l'ERoEI minimal global pour qu'une société industrielle fonctionne, car nombre d'entre vous semblait surpris de lire qu'il devait être d'environ 8 à 10 pour permettre à notre civilisation moderne d'assumer le développement, la croissance économique et démographique qu'elle appelle de ses voeux.
C'est un fait, pour construire des aéroports, des autoroutes, des immeubles qui vont chatouiller le ciel et des mégalopoles de 30 millions d'habitants, nous devons disposer physiquement d'une énergie nette suffisante. Mais dans la réalité, les choses vont encore plus loin que cela, c'est ce qu'explique Charles A. S. Hall, le grand spécialiste de l'ERoEI dans un document mis en ligne sur le site du Post Carbon Institute.
Il s'agit là d'évaluer l'impact du prix de l'énergie sur le taux de retour énergétique pour les pays importateurs. Vous verrez que
l'énergie nette disponible n'est pas uniquement liée à des aspects technologiques ! Je m'explique.
Lorsqu'un pays ne dispose pas de l'énergie nécessaire, sur son territoire, pour alimenter le fonctionnement de son économie, il doit l'importer. C'est le cas de tous les pays de l'OCDE mais également des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), tous importateurs nets de pétrole, sauf la Russie.
Prenons le cas de la France. Pour acheter le pétrole qu'elle importe à plus de 98%, elle doit produire de la richesse économique (PIB) au travers d'exportations, afin de disposer de l'argent nécessaire à l'achat de ce pétrole. Or, plus ce dernier est cher, plus la quantité de biens et de services que les Français devront fournir pour produire la richesse suffisante sera élevée.
Autrement dit, plus le prix du baril augmente, plus l'activité économique doit augmenter pour simplement payer l'énergie importée. Il faut donc consommer davantage d'énergie puisque toute activité, quelle qu'elle soit, entraîne une consommation d'énergie. Par conséquent, l'investissement énergétique nécessaire pour obtenir de l'énergie augmente et de fait, l'ERoEI et l'énergie nette disponible diminuent.
Pour illustrer cela, Hall explique alors qu'avant le choc pétrolier de 1973, l'ERoEI du pétrole importé par les USA était d'environ 25:1 (1 baril investi pour 25 barils récupérés). Au moment du choc, la hausse du prix a fait descendre l'ERoEI à 9:1, puis lors du second choc de 1979, il serait descendu jusqu'à 3:1. Dans les années qui ont suivi et jusqu'au début des années 2000, l'inflation (hausse des prix des biens et services) a permis de le faire remonter sensiblement, puisqu'il fallait moins de production réelle pour payer la facture énergétique.
Depuis 2003 et la hausse vertigineuse du prix de l'énergie, l'EroEI américain redescend à nouveau et il est aux alentours de 10:1. Mais attention, même si ce chiffre peut sembler acceptable, il est totalement virtuel puisqu'il n'est pas soutenu par la croissance de l'économie, mais uniquement par la dette !
Source: http://petrole.blog.lemonde.fr/
Imaginons que les créanciers (pays de l'OPEP et Chine notamment) veuillent convertir le remboursement de la dette des pays
importateurs en bien et services réels ? Il faudrait alors consacrer le peu d'énergie qu'il nous reste aux exportations, au travers de nourriture, voitures, routes... A ce
moment-là, nos économies toucheront le fond, le monde comprendra alors qu'il n'est pas possible de s'affranchir des limites physiques de notre planète.
Cette manière de regarder l'évolution de nos sociétés et de l'économie permet de comprendre pourquoi nous sommes en
récession lorsque le prix de l'énergie augmente. L'Europe est le dernier continent en termes de réserves pétrolières, mais il est le premier importateur de
pétrole mondial. Il n'y a pas de mystère, notre dette et nos exportations servent à payer une facture énergétique qui s'accroît sans cesse. Si nous n'engageons pas, dans les plus brefs
délais, une transition vers l'après pétrole et une réelle émancipation énergétique, nous sommes destinés à devenir des esclaves au service des pays exportateurs d'énergie.
Décidément, les faits sont têtus !