Dans un modèle de société qui s'accroche à la croissance comme une moule à son rocher, l'efficacité énergétique devient l'alibi vertueux des politiciens et des industriels. L'efficacité énergétique est le levier des ingénieurs pour tenter de faire diminuer la consommation d’énergie. Concrètement, il s’agit de moyens techniques permettant d’obtenir le même bien ou le même service avec une moindre consommation d’énergie.
Jusqu’au choc pétrolier de 1973, faire des économies d’énergie coûtait plus cher que l’énergie elle-même, c’est pourquoi ni les transports, ni l’urbanisme et l'habitat, ni l’industrie n’ont été conçus pour réduire les consommations. Depuis 1973 et le choc économique provoqué par la hausse du prix du pétrole, tous les secteurs se sont mobilisés pour inverser la tendance.
Pourtant, malgré 40 années de progrès technologique, la consommation globale d'énergie augmente toujours. C'est pourquoi, deux éléments doivent absolument être considérés avant de pouvoir s’appuyer sur ce levier technique.
L’intensité énergétique de l’économie ne baisse quasiment plus en Europe depuis 2008
L’analyse d’Odyssee-Mure montre que les progrès en matière d'intensité énergétique en UE diminuent, passant de -1,5 % par an entre 2000 et 2007 à -0,6 % par an depuis 2007. Autrement dit, il y a de moins en moins de progrès dans ce domaine, contrairement à ce que l'on pourrait penser. Dans le secteur de l’industrie et des transports, la tendance s’est même inversée. En effet, la stagnation, voire récession économique provoque une baisse de charge des industries qui ne fonctionnent plus à pleine capacité, et une baisse du taux de remplissage des transports de marchandise (camions, trains ou avions moins remplis).
Evolution de l'amélioration de l'efficacité énergétique en Europe. Sur ce graphique l'année 2000 est la référence. On remarque que les courbe de l'industrie et des transports ne baissent plus depuis la crise de 2008.
L’effet rebond neutralise les effets positifs de l’efficacité énergétique.
Les manufactures alimentées au charbon de Manchester au XIXe siècle. Les progrès technologiques qui ont permis l'utilisation du charbon durant la Révolution industrielle ont augmenté de manière substantielle la consommation de ce combustible. (Source: Wikipédia)
D’après le Centre d’Analyse Stratégique français, aujourd’hui remplacé par le Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP), le principe de l’effet rebond expliqué plus haut peut annuler jusqu'à 50 % des gains obtenus par une meilleure efficacité énergétique dans le logement. Cela s’explique en partie par les comportements de consommation des usagers qui bénéficient des améliorations techniques.
Par exemple, un couple qui change la chaudière de son logement commencera à économiser de l’argent dès lors que l’investissement aura été remboursé. Si l’argent économisé permet au couple de partir en vacances en avion, les économies d’énergie réalisées peuvent être annulées.
Ceci n'est pas généralisable à toutes les situations, et on imagine aisément que pour un ménage qui ne parvient pas à payer ses factures ou qui se trouve en situation de précarité énergétique, l’impact de l’effet rebond sera limité puisque les gains obtenus permettront simplement aux bénéficiaires de vivre dans des conditions décentes.
En revanche, dès lors que les gains bénéficient à des entreprises ou des ménages dont la situation financière est plus confortable, le capital économique libéré par les économies d’énergies sera assurément réutilisé par ailleurs, pour d’autres usages qui peuvent annuler complètement les gains initiaux.
Orienter favorablement le rebond
Il convient donc de se questionner sur l’affectation de l’argent économisé par l’efficacité énergétique. Actuellement, cette réflexion est mise en pratique en amont des travaux, grâce au principe du tiers-investisseur. Ce système permet à un ménage ou une organisation de faire appel à un tiers (public ou privé) pour l’aider à financer des travaux de rénovation et se rémunérer sur les économies d’énergie réalisées.
Une fois que l'investissement a été amorti, il faut éviter que les sommes économisées ne soient utilisées dans de nouvelles dépenses d’énergie, mais au contraire, qu’elles le soient dans de nouveaux leviers de réduction des consommations.
Je propose de créer des fonds d’investissement dans lesquels chaque particulier ou entreprise serait incité, par un abondement des Etats, des collectivités territoriales ou des entreprises, à placer les gains réalisés. Les placements abondés pourraient être réinvestis par leur propriétaire uniquement dans de nouvelles mesures d’économie d’énergie ou en tant que tiers-investisseur pour d’autres porteurs de projets (voir schéma ci-dessous). Le cercle vertueux ainsi créé permettrait de tendre vers une réduction réelle et globale de la demande énergétique.
Ceux qui pensent que le progrès technologique à lui seul, dans une économie de croissance, peut conduire à une réduction globale des consommations d'énergie, est dans l'erreur. La transition énergétique devra passer par un changement des comportements, des modes de vie, et par une contrainte de l'effet rebond.
Article inspiré du rapport "Vers des territoires résilients en 2030"